C’est en gare de Lorient, à la descente du train, qu’on retrouve Daniel Le Danvic. Ce cheminot photographe, originaire de Lorient, est coauteur, avec Marc Gballou, du livre « En train de… disparaître ». Des images et témoignages (engagés) sur un monde ferroviaire en pleine mutation et surtout un bel hommage à « l’esprit cheminot » d’une époque presque révolue…
36 ans que vous travaillez à la SNCF. Et la photo dans tout ça ?
J’ai quitté Lorient, ma ville natale, à 16 ans pour rentrer aux chemins de fer comme apprenti. J’ai fait toute ma carrière comme conducteur de fret, TER et aujourd’hui de TGV. La photo, j’en ai toujours fait un peu, mais c’est vers 1985 que je me suis intéressé au noir et blanc. Ça a libéré ma sensibilité à l’image. Un jour, à Camaret, il faisait un temps de chien et j’ai commencé à photographier des épaves de bateaux. Les clichés ont illustré le livre « Les bateaux du grand silence » avec Roger Gicquel. A suivi un travail sur les petites mers du Morbihan avec Gilles Servat. Une chouette rencontre encore.
Quand et pourquoi avez-vous commencer à photographier vos camarades de travail ?
J’ai longtemps hésité à faire des photos sur mon lieu de travail. Mes collègues photographes m’ont pourtant fortement incité à le faire, ne serait-ce que pour garder une trace de ce monde qui change, en train de disparaître. Quand j’ai fini par sortir mon appareil photo, j’ai tout de suite regretté toutes ces images que je n’avais pas gardées, toutes ces transformations en marche qui m’avaient échappé. Et puis l’univers ferroviaire est très photogénique.
Quel a été votre carnet de route depuis toutes années ?
Mon but, au début, n’était pas de faire un livre. J’ai commencé, sur mon temps libre, à photographier les paysages ferroviaires (des quais de gare, des lignes perdues dans la campagne…) avant de m’intéresser à l’humain. En 1995, j’ai accompagné « la brigade de voies », sur la ligne Rennes-Chateaubriant. Là, je suis rentré dans une petite famille. Du vrai chemin de fer à l’ancienne. Les cheminots étaient très réservés au début. Certes, j’étais un des leurs, mais le conducteur de train reste le baron du rail : un autre monde pour les travailleurs du rail. J’ai ressenti la même chose aux ateliers. Cette approche sur l’humain au travail a pris tout son sens quand ils ont réalisé que leur outil de travail avait déjà changé en à une peine trois ans. Mon appareil ne m’a ensuite plus quitté pendant mes tournées. En 2014, j’ai réussi à sélectionner 2.500 photos (l’essentiel en argentique). Le livre en contient 147. La plus ancienne date de 1987 : le port de Lorient où il y avait encore des wagons…
On ressent beaucoup de nostalgie dans vos clichés. Un regard militant aussi ?
Quand le comité d’entreprise des cheminots de Bretagne s’est engagé dans le projet de livre, j’ai posé mes conditions : « En train de… disparaître » ne devrait pas être un livre encarté. Plein de choses sont en train de disparaître : le fret d’abord, l’esprit de cohésion ensuite au profit d’individualisme et de la sous-traitance. Je suis nostalgique, mais je ne veux pas tomber dans le piège du sentimentalisme ou du corporatisme. Le militant syndical que je suis veut juste illustrer et défendre les valeurs du service public, l’échange humain de plus en plus menacé et l’usager comme un acteur essentiel du transport ferroviaire.
Vous parvenez presque à figer le temps dans un monde qui avance à toute vitesse
… Même à 300 km/heure, je ne me lasse pas de voir le paysage défiler. Et j’ose espérer que des voyageurs lèvent encore les yeux de leur écran pour regarder par la fenêtre. Le rôle d’une photo est de témoigner, de laisser une trace. Je ne suis pas du genre à dire que c’était mieux avant : l’évolution est nécessaire, mais à condition qu’elle profite au plus grand nombre. Ce qui ne semble plus vraiment le cas…
Pratique
« En train de… disparaître », images du monde ferroviaire et témoignages de cheminots bretons aux Editions Privat. En kiosque depuis quelques jours. 160 pages. Prix : 26 €
Publié le 31 octobre 2015 à 00h00 sur LeTelegramme.fr